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Retrouvez toutes mes publications sur mon blog “Les billet de Gréco”

Vous pouvez aussi lire ici les 2 articles parus en 1996 et 2006

Journal LES ÉCHOS – 4 avril 96 – page 52 – Idées – Le point de vue de Gréco Casadesus

LE STATUT D’ARTISTE-COMPOSITEUR EN L’AN  2000

Les 4 années qui nous séparent du 3ème millénaire vont être le témoin de nombreux bouleversements culturels. Les nouvelles technologies ont apporté des outils de création inattendus et les schémas de réflexion habituels qui nous satisfaisaient jusqu’à présent, ne fonctionnent plus. En fait, l’accélération de l’évolution technique ne sous-tend pas une assimilation raisonnable de ses propres conséquences, notamment en matière de création musicale où l’on peut se demander : qui, demain, sera, à la fois, artiste et compositeur ? Quelle sera sa rémunération ? Et qui le rémunérera ?

Chaque jour, des milliards de “datas” remplacent des molécules palpables. La matière disparaît pour laisser place à des bits sans poids capables de traverser instantanément les frontières les plus interdites. L’œuvre originale est en train de se dématérialiser : le master vaut autant que la copie, la copie vaut autant que sa source informatique, et une transformation imprévisible des données artistiques est à la portée de tous.

Plus l’œuvre mise à disposition est segmentée, plus l’accès à cette fragmentation autorise une ré-ordination dans laquelle le droit moral ne peut être respecté, et ceci tout simplement parce que l’artiste n’a plus aucun moyen physique d’exiger l’intégrité de son œuvre. Et cette constatation va de pair avec la tendance de notre civilisation à s’approprier ce qui lui semblait jusqu’à présent inaccessible. Les industriels l’ont d’ailleurs fort bien compris, les slogans suivants en témoignent : “n’apprenez pas la photo, faite de la photo” –Konica – “Je l’ai rêvé, Sony l’a fait” -et enfin, parmi beaucoup d’autres : Auchan, en novembre 95 : “pour être cinéaste, il suffit de lire la notice”.

Ainsi, des générations spontanées de créateurs autodidactes apparaissent, persuadées qu’il n’est nul besoin d’expérience ou de méthode pour devenir artiste. L’art et la manière se confondent, l’informatique, outil fabuleux, par le biais d’intelligences artificielles de plus en plus affinées, se substitue à l’esprit de conception, à l’âme et à la notion d’originalité qu’elle bafoue en la mystifiant.

Copier un morceau de musique pour l’insérer dans une autre œuvre s’assimilait, jusqu’à présent, à une forme de pillage. Aujourd’hui, le sampling (échantillonnage) est devenu usuel et se découvre désormais au fil des productions et styles “modernes” (rave, techno, house…). Il n’est pas rare, dans ces assemblages auxquels on ne peut refuser la reconnaissance du succès commercial, de découvrir des mesures entières d’œuvres préexistantes à peine dénaturées, piquées çà et là dans des compacts ou des vinyles ; ce processus révèle, en fait, une nouvelle catégorie de créateurs : les “DJ” (“disc jokeys”), pour l’instant inclassables au titre de la création musicale, mais incontournables au titre du potentiel économique que représente le marché qu’ils ont induit. Mais que font donc ces manipulateurs rusés ou éclairés, ces technocréateurs?

Lorsque vous appuyez sur la touche Play de votre lecteur de CD, vous lisez et vous transmettez une information : vous interprétez. Identiquement, si vous appuyez sur le do de votre piano, le si bémol de votre synthétiseur ou la touche “Entrée” de votre ordinateur, vous ne faites que déclencher un processus technique qui consiste à vider le contenu d’une mémoire vers une autre. Si vous pressez plusieurs fois de suite le bouton Play, vous zappez, vous ne créez rien de particulier. À ce stade, le droit d’auteur ne vous reconnaît pas, pas plus qu’il ne reconnaît le saxophoniste du métro ou le poinçonneur des Lilas.

Or, depuis quinze ans, la lutherie électronique connaît une violente mutation : après un stade initial où jouer un son de trompette sur un clavier faisait sourire les professionnels, il est désormais admis que les qualités d’imitation troublantes des “synthés” ont largement contribué à évincer les musiciens de studio. Aujourd’hui, le clavier d’un synthétiseur offre un maximum de 88 interrupteurs sensitifs sous la pression desquels on déclenche des phrases musicales entières, aux qualités techniques irréprochables et préfabriquées pour s’associer les unes aux autres. Nous sommes entrés de plain-pied dans le monde du “kit”, de l’assemblage préconçu, du domino informatique. Ce qui est possible en achetant aujourd’hui quelques CD-Rom en magasin spécialisé deviendra incommensurable lorsque les réseaux, demain, transmettront dans n’importe quel foyer son et images à une vitesse plusieurs fois supérieure au nominal.

Composer à la Mozart ou construire un rap, il n’y a plus que l’embarras du choix. Mais, dans le cas où le nouvel assemblage ainsi joué, interprété, arrive à dépasser le stade de la famille, doit-il être rémunéré à l’identique de la vraie création, qui, la plupart du temps, lui a servi de modèle ? A-t-il la même valeur marchande que celle de l’expérience, l’intuition, et le vécu d’une âme, celle de l’Artiste ?

Une nouvelle vague de compositeurs apparaît : ceux qui, en amont, imaginent les stocks de ces cellules dont l’assemblage va permettre efficacement de constituer des œuvres qui ne seront ni originales, ni toutefois identiques. Afin de permettre l’utilisation licite, par tout un chacun, de ces motifs préfabriqués, ces compositeurs sont amenés à céder leur droit de manière forfaitaire. Les sociétés d’auteurs doivent impérativement se pencher sur cette attitude, véritable brèche ouverte vers le copyright à l’américaine. Car il faut savoir que, actuellement, des dizaines, voire centaines de CD audio ou CD-Rom sont à la vente, en France, pour permettre ces assemblages et qu’ils sont totalement libres de droits.

Il est grand temps de redéfinir une typologie des métiers de la création grâce, entre autres, à l’analyse des nouveaux outils et de leur application. Les sociétés de gestion collective doivent s’y employer. L’ère du rêve en kit, rêve”à façon”, ne signifie pas la disparition de l’artiste, à condition que l’on respecte son statut et que l’on rémunère équitablement son travail.

L’artiste véritable s’impose par la force de son œuvre, la puissance de son regard, l’authenticité de sa sensibilité et le respect des vraies valeurs. Il est porteur d’un idéal, moteur indispensable à la conception artistique de valeur. Il a donc sa place dans les sociétés modernes : la puissance émotionnelle de son œuvre et surtout, l’aspect irremplaçable, unique, ou encore exceptionnel de celle-ci faisant apparaître une forte notion d’idéal, d’implication, de paternité, et de don de soi-même.

Au lieu de se consacrer à la fade et facile répétition d’un patrimoine existant, l’artiste-compositeur cherchera, en utilisant ces nouveaux outils comme valeur ajoutée à sa pensée créatrice, à imposer sa marque de fabrique, permettant ainsi la reconnaissance de son style à l’instar des codes d’identification numérique dont il aura l’hygiène de s’assurer qu’ils accompagnent systématiquement son œuvre.

Il sera rémunéré selon un système proche des règles actuellement appliquées : au prorata de l’attention qui lui sera portée, soit par le biais d’un guichet unique (par exemple, SESAM) si les sociétés de gestion collective se mettent d’accord, soit par l’intermédiaire de sociétés d’auteurs diverses, si elles arrivent à mettre en place une stratégie de concurrence, soit directement, à la demande, comme risquent de l’autoriser les réseaux internationaux,

Je souhaite que tous ceux qui rêvent en écoutant la musique qui les fait vibrer, réfléchissent aux moyens de ne pas laisser sombrer le statut d’artiste dans la médiocrité.

Greco Casadesus, compositeur.

Journal LES ÉCHOS – 27 novembre 2006 – page 17 – Idées – Le point de vue de Gréco Casadesus

LE BOOM DES CREATEURS DE MUSIQUE

Notre société est perturbée par son instabilité et l’incertitude de son devenir. Dans ce contexte, la notion de création est devenue rassurante et le terme créateur se retrouve largement galvaudé : des créateurs de beauté au créateur d’automobiles, nous sommes entrés dans l’ère du rêve industrialisé. Ainsi, vendre de l’ersatz de création via les technologies d’assistance est devenu un marché prometteur et foisonnant.

Cet inquiétant détournement de la notion de création est également soutenu par une forte demande, l’accès au stade de créateur artistique n’ayant jamais autant été convoité, notamment chez les jeunes générations séduites par les sirènes des (télé)communicants, ou motivées par le désir d’accéder à des castes inaccessibles auparavant…

La musique n’y échappe pas : faire (ou assembler) de la musique n’a jamais été aussi facile et abordable et nous disposons déjà d’outils incroyablement inventifs élaborant des imaginaires inédits, confondant le produit de la machine avec le fruit de l’imagination.

Dans ses aspects les plus populaires, la musique de demain se servira d’interfaces visuelles (permettant d’assembler et de dessiner à l’écran des éléments musicaux) et les créations collectives se répandront, toujours assistées par une puissante informatique. Ainsi, les fruits hybrides de ces manipulations protéiformes, composites, soumises aux règles de l’aléa et de l’intelligence artificielle, risquent de ne plus correspondre au schéma traditionnel de notre droit d’auteur qui protège le caractère unique, inaltérable et la rémunération de nos œuvres… Pour les diffuser avec ou sans images, le nomadisme cellulaire va proliférer, offrant en tous lieux et à tous moments, pour un prix de location forfaitaire et dégressif, pléthores de musiques issues de gigantesques banques de données. Nos choix seront artificiellement conseillés et la musique coulera à flots continus et volatils.

Internet détient un phénoménal potentiel de focalisation qui touche l’individu perdu dans la masse, et celui-ci va donc disposer d’une influence croissante via de multiples réseaux affins et parallèles. Ceux qui contestent le système traditionnel de sélection (maisons de disques, éditeurs …) y verront une renaissance ; d’ailleurs, les nouveaux modèles de la production musicale, tant artistiques qu’économiques, éclosent déjà, stimulés par la contraction des métiers et les considérables possibilités d’exposition des réseaux virtuels.

L’autoproduction s’organise, et le public devient de plus en plus prescripteur, amené à désigner, adopter, acheter par enchère ou non sa part de rêve personnalisé. C’est une révolution et un hold-up : une révolution, car les barrières sautent, et un hold-up, parce que se propage, une mode obsessionnelle et iconoclaste consistant à s’approprier le réservé ou l’interdit.

Outre certains secteurs encore préservés comme le spectacle vivant, nul ne peut dire ce que va devenir l’artiste-créateur…

Entre le coup de pouce procuré à ceux qui n’osaient pas “faire l’artiste” et cette propension à occulter les degrés d’acquisition des compétences, le système qui se profile produira beaucoup de désillusions. La pédagogie détient donc un rôle fondamental dans notre futur : elle seule peut combattre la médiocrité engendrée par la multiplicité des automatismes. Les volontés politiques doivent impérativement se pencher sur cette nécessité. L’éditeur musical, commerçant des racines de l’œuvre, peut également restabiliser la situation en gérant efficacement, dans un climat de confiance et à l’échelle humaine, le catalogue qui lui est confié.

La société va continuer à fabriquer ses demi-dieux : ils sont inéluctables. Et le fossé va se creuser entre les créateurs noyés dans la masse, appauvris, mais intéressants des micro-réseaux, et les “stars”, plus rares, donc plus chères, soutenues par les consortiums de la télécommunication.

Le processus créatif est fragile et l’artiste-créateur de demain devra, pour transmuer une simple idée en œuvre transmissible, c’est-à-dire maîtriser et conduire à terme un concept artistique convaincant, réaffirmer ses qualités fondamentales : intuition, authenticité, ténacité, communicabilité, et audace. Dans ces conditions, les outils novateurs qui lui seront proposés pourront être un complément stimulant et inépuisable à son imaginaire, s’il sait en rester le maître.

Et j’espère que je pourrai toujours dire : “être artiste, avant que d’être un métier, c’est un état”.

Greco Casadesus, compositeur, Président fondateur de l’Union des Compositeurs de Musiques de Films (UCMF).

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