Roger Boutry est un homme que j’admire ; compositeur, chef d’orchestre, professeur au CNSM, il dirige l’orchestre symphonique de la Garde Républicaine qui est une excellente formation symphonique. Nous nous sommes connus lorsque j’assumai mes fonctions de directeur artistique chez EMI et nous avons enregistré ensemble plusieurs disques dont deux opéras de Massenet : “Le jongleur de Notre-Dame” avec l’orchestre de Monte-Carlo et “Sapho” avec l’orchestre de la Garde. Une amitié s’est tissée entre nous et nous nous rencontrons souvent. Hélas, Roger nous a quitté en 2019.
En 1984, l’orchestre de la Garde est sollicité pour interpréter la musique d’une série de 6 films de 90 minutes pour France 3 destinée à mettre en valeur les enquêtes de gendarmerie : “L”homme au képi noir” avec Jacques Spessier dans le rôle-titre. Roger ne souhaite pas en écrire la musique et me confie cette tâche, ce qui m’enchante. Cela sera ma première expérience avec grand orchestre. Nous enregistrons au studio Ferber à Paris et Jean Claudel est l’éditeur de la musique.
Dans la foulée, je rencontre d’autres réalisateurs comme François Dupont-Midi et Serge Korber avec lequel je vivrai d’autres expériences musicales.
Peu de temps après, Bernard Dumont réalise une série de documentaires sur la montagne (Les conquérants de l’impossible) et cherche un compositeur. En rentrant dans un bureau, son oreille est attirée par une musique qui le touche : il s’agit, en fait, de l’un de mes disques qu’écoute un autre réalisateur, Dominique Baron. Ce dernier l’a reçu de mon cousin Patrice Casadesus, qui est assistant-réalisateur sur de nombreux films et qui porte mon travail en estime. Bernard m’appellera peu de temps après et, de cette rencontre va naître une belle complicité nous réunissant sur de nombreux films. Dominique Baron, à son tour, me confiera la musique de l’un de ses films.
Dans la même période, j’écris le musique de “Chinook“, un documentaire de Christian Zuccarelli, qui retrace les aventures des chiens de traîneaux et qui fit le tour du monde.
En 1993, je rencontre Jean-Marc Seban qui, convaincu par les chaudes recommandations de Bernard Dumont, m’engage pour la musique d’un épisode de la série “Les cinq dernières minutes“. Je ferai 4 films avec Jean-Marc Seban. Entre temps, “Le Poids du Corps“, de Christine François me donne l’occasion d’écrire quelques pages pour quatuor à cordes.
Parmi les sujets ou les réalisateurs qui m’ont marqué, il me faut citer “Jésus” réalisé par Serge Moati et produit par Pascale Breugnot.
Je rencontre également Étienne Périer, réalisateur qui dispose d’un goût sûr, réalise des films subtils, aux sujets inédits et, de plus, est un excellent clarinettiste. Je ferai trois films avec lui et produits par Dominique Antoine. Ces films resteront dans ma mémoire comme des expériences riches et accomplies.
Enfin, avec Claudio Tonetti, j’écrirai en 2000 la musique de “L’enfant de la honte“, une mini série (2×90 mn) interprètée entre autres par Barbara Schulz. Le film sera largement plébiscité et cette partition restera l’une de mes préférées.
Interviendront avant cette fin de siècle deux expériences pour le cinema qui furent des moments très riches : The Climb et Babar, roi des Éléphants.
The Climb (la version française s’appelle Le défi) tourné en 1997 par Bob Swaim est interprété par John Hurt, Gregory Smith et David Strathairn.
Bob Swaim, réalisateur et scénariste franco-américain doué d’une sensibilité toute européenne a marqué son époque avec “La balance“, tourné en 1982, réalisation qui obtint le Cesar du meilleur film en 1983. De la filmographie de Bob émerge “The climb” , sans doute l’une de ses réalisations les plus réussies.
Initialement, Bob voulait confier la musique de son film à John Barry qui avait déjà travaillé avec lui sur “Masquerade“. Mais John était indisponible et Bob me demanda d’écrire la partition. Ce fut une expérience particulièrement stimulante que de travailler avec lui sur ce film étonnant qui rencontra le succès aux USA. Bob, mélomane averti, (il est également metteur en scène d’opéra) a toujours été très attentif à la musique de ses films. À ce titre, le texte qu’il écrivit pour le livret du CD est révélateur :
De tous les éléments de la bande sonore d’un film -la parole, le bruitage et la musique-, c’est la musique qui ajoute à la scène une profondeur émotionnelle et psychologique. La musique doit compléter l’image, et non la souligner. Il faut donc que la musique travaille en souplesse et en finesse. Less is best. Le talent de Gréco Casadesus a été de savoir tracer un chemin musical entre les différentes émotions des scènes, utilisant les autres éléments sonores afin de les incorporer dans une partition à la fois subtile, parfois nostalgique, parfois dramatique, et surtout émouvante. C’est une musique qui a sa vie propre, qui possède une force émotionnelle et une beauté particulières, et qui peut donc s’écouter indépendamment du film. Une musique qui tient toute seule…
Dans la foulée, Robert Réa, producteur du film, me confia l’écriture de la musique de Babar, ceci qui fut pour moi une très belle expérience et je ne peux que le remercier de la confiance qu’il a porté à mon travail.
Entre temps aura eu lieu l’écriture de la musique de la série Les Trois Mousquetaires réalisée pour le cinema en 1921 par Henri Diamant-Berger et restaurée par son petit-fils, Jérôme Diamant-Berger en 1999.
L’idée qui se dégagea très vite fut d’associer au film une conception contemporaine de la musique, au style plutôt orchestral, qui respecterait à la fois les intentions de la mise en scène et les attentes d’un public large et diversifié.
Ce fut une expérience exaltante (6h30 de musique pour 7 heures de film) au travers de laquelle j’ai voulu respecter les intentions des deux auteurs, Dumas et Diamant-Berger. Le CD que j’ai produit, un peu plus tard, est une compilation des thèmes les plus significatifs du roman et du film.
Mais l’influence exercée par ces ces images ne s’arrêta pas là : conquis par les qualités exceptionnelles du film et de l’histoire, je décidai, un peu plus tard, d’en faire un spectacle pour jeune public, Les Trois Mousquetaires font du Cinema
Cette période coïncide avec les propositions des instrumentistes des pays de l’Est (Sofia, Prague, Bucarest, et plus tard Skopje): les frontières devenant plus poreuses, les prix très abordables et le désir d’apporter beaucoup de concentration aux enregistrements furent une opportunité séduisante pour beaucoup de compositeurs. Mais, si mon respect pour la qualité musicale des musiciens français est indéfectible, il me faut bien avouer que beaucoup de partitions symphoniques écrites pour les films TV n’auraient pu exister si je ne les avais enregistrées à l’étranger dans ces conditions très avantageuses.
Aujourd’hui, un grand nombre de musiques pour l’image s’enregistrent à l’Est, jusqu’en Russie. Par le biais des “e-sessions”, les techniques modernes autorisent l’économie d’un déplacement, le compositeur pouvant, de chez lui, suivre et influer sur l’enregistrement par l’intermédiaire d’internet. Les fichiers enregistrés sont ensuite transmis entre les serveurs et le tour est joué. Pour ma part, un enregistrement réussi est une expérience qui se vit et se partage avec les musiciens, le chef, l’acoustique de la salle et les techniciens. Car tous ceux qui concourent à atteindre ensemble le but que la musique leur propose, c’est-à-dire créer des émotions, dégagent un magnétisme de proximité qui, influant sur l’interprétation, ne peut être remplacé par les télétransmissions aussi sophistiquées soient-elles. Mais, avouons-le, le gain de temps et les économies réalisées sont des facteurs séduisants…
A partir des années 2000, beaucoup d’autres films me seront proposés, notamment des documentaires haut de gamme comme “Jack London“, “De Gaulle” “Albert Camus” ou la série “Jusqu’au dernier“. Mes collaborations avec les réalisateurs de ces films documentaires comme Michel Viotte, William Karel, Elisabeth Kapnist ou encore Georges-Marc Benamou sont riches d’expérience et d’empathie. La plupart du temps, le soutien de Cezame Agency (Frédéric Leibovitz) est primordial, notamment les conseils de leur productrice Françoise Marchesseau dont j’apprécie le goût musical et la pertinence de la relation musique/images.
Greco CASADESUS